La newsletter presque quotidienne de Cécile Duquenne a parlé ces derniers jours de tropes, de clichés, qui sont délétères. Et notamment celui du « personnage handicapé miraculé ».
Insérer ici image d'une personne debout les bras levés à côté d'un fauteuil roulant devant un lever de soleil. Oui, cette image stock existe, mais 1) elle est payante partout, 2) elle est super-validiste, alors même pour de l'ironie, je ne la mettrai pas.
Cécile s'adresse ici à un public d'auteurices ou en tout cas de personnes intéressées par l'écriture, et donne des conseils dans sa newsletter. Dans cet épisode, elle imagine qu'elle est en face d'une personne qui a écrit un récit où un personnage est handicapé, que ça rend malheureux – et c'est sa seule caractéristique – et puis il est rendu valide, et "donc" heureux.
Dans votre récit, un personnage est handicapé […] et… triste de l'être.
Déjà, c'est moyen de caractériser son personnage et son intrigue uniquement à travers son handicap… comme si toute son existence se résumait à ça… qu'il n'avait pas aussi des passions, un métier ou des activités non reliées au handicap.
Ensuite, surtout, dans notre « volonté de bien faire » en tant qu'auteurs souvent valides, on balance ce qu'on estime être la fin heureuse d'un personnage handicapé : on les rend valides à nouveau !
Grâce à la magie/la technologie/n'importe quoi d'autre.
Or, c'est quand même terrible, le message que cela renvoie : on dit purement et simplement à nos lecteurs concernés qu'ils ne sauront pas être heureux tant qu'ils seront handicapés.
Sympaaaaa, le message blessant !
Extrait de la newsletter de Cécile Duquenne, épisode « 3 tropes que je ne veux plus voir en littérature ».
Ça m'a touchée. Parce que dans une campagne en cours de jeu de rôle, mon personnage, Tamatius, est handicapé moteur. Il a une prothèse de bois et de métal depuis le genou gauche jusqu'au sol. J'aime bien ce personnage, il est marrant, il n'arrête pas de parler pour partager son savoir (infodump for ze win), ça agace beaucoup les autres personnages et c'est tellement drôle à jouer. Et, oui, il ne peut pas courir – enfin, pas trop vite. On s'en sert assez peu dans le jeu, parce que notre maître du jeu (MJ) est coulant sur les contraintes, mais c'est… c'est une partie de lui, quoi.
Il y a quelques mois, suite à une séance de soin qui s'est très très bien déroulée (après l'effondrement d'une cathédrale qui n'était certainement pas du fait de notre équipe, ohlala, non, pas du tout), le MJ m'a proposé que mon personnage voie sa jambe reconstruite. Déjà, j'ai apprécié qu'il me demande ce que je voulais, plutôt que de dire « Eeeet Tamatius est guéri ! ». (il est vraiment bien, notre MJ, sur plein de points 🥰 ) J'ai pas mal tergiversé, réfléchi, exprimé ma réflexion sur le fédiverse.
Et j'ai décidé que non. Non, Tamatius ne serait pas « guéri ». Il garderait sa prothèse. Resterait le moulin à paroles boitillant du groupe, qui sert les déités diluviennes, et qui soigne avec l'eau. C'est ce qu'il est. Ça pourra changer plus tard.
(l'image plus haut est une version récente du personnage sur le site Heroforge ; quand j'ai créé Tamatius, à l'époque, on ne pouvait pas faire de prothèses de jambe, j'étais frustrééée)
Alors, oui, des histoires avec une personne handicapée qui « perd » son handicap, ça marche aussi, et ça peut être très bien fait. Mais là, je ne voulais vraiment pas participer au cliché du miraculé, comme le décrit bien Cécile Duquenne.
À noter d'ailleurs que ces derniers temps, je fais souvent des personnages avec un handicap (dans mon roman en cours, nom de code La compagnie des étoiles, Jade a une prothèse « spectrale » pour sa patte, et Vyx reçoit un bras mécano-magique plus tard dans l'histoire, par exemple). C'est une réflexion que j'ai en tâche de fond, je pense, et j'avoue que je ne sais pas très bien pourquoi. Pour une part, c'est que je reconnais le besoin de représentation des personnes handicapées dans les œuvres, mais il n'y a pas que ça et pour l'instant ce n'est pas clair pour moi 😅
Crédits :
- bannière : Helena Lopes
- image d'illustration : moi-même, création sur Heroforge